La France,
lONU et le maintien de la paix
« La défense de la France ne se joue plus
immédiatement à ses frontières. Elle
dépend du maintien de la stabilité internationale,
de la prévention des crises, en Europe ou hors
dEurope, qui, dégénérant, mettrait
en péril nos intérêts et notre sécurité
» Edouard Balladur, Premier Ministre, Préface
au Livre Blanc sur la Défense, 1994
INTRODUCTION
La présence française au sein du système
des Nations Unies, et plus particulièrement dans
le cadre du maintien de la paix, constitue un des axes
autour desquels se définit la politique étrangère
de la France. Mais, la position française vis-à-vis
de lONU a évolué au cours des quelques
cinquante ans dexistence de cette organisation.
Pendant les 20 premières années, en pleine
période de guerre froide et de décolonisation,
les relations franco-onusiennes sont placées sous
le signe de la défiance, voire de lhostilité.
A partir de 1965, alors que les griefs mutuels sestompent,
Paris prend peu à peu conscience des possibilités
que le multilatéralisme peut offrir à la
« moyenne grande puissance » (Thierry Tardy)
quest la France. Mais, cest surtout à
partir de 1990 que la France investit sans réserve
dans lONU, participant activement aux opérations
de maintien de la paix. Ces opérations, créées
afin de remédier à la paralysie qui résultait
de lantagonisme est-ouest, sont instaurées
avec pour but, non de réprimer lauteur dun
acte illicite, mais de sinterposer pour trouver
une solution négociée. Il sagit donc
dopérations non coercitives visant à
garantir et à accompagner la fin des hostilités
entre deux Etats. Cependant, compte tenu de lévolution
des opérations de maintien de la paix, on peut
sinterroger sur la portée réelle de
laction française. La question est de savoir
si la France est, comme le laisserait penser sa contribution
et son statut de membre permanent, une puissance importante
en matière de maintien de la paix, ou bien si son
action est limitée, notamment en raison des limites
de lONU elle-même. Dans ce sens, la réforme
de lONU devient une priorité de la politique
étrangère française, nécessaire
au maintien du statut de la France dans cette organisation
I. EVOLUTION DE LA POSITION FRANCAISE DANS LE CADRE
DES OPERATIONS DE MAINTIEN DE LA PAIX : DE LA RETICENCE
AU SOUTIEN ACTIF
1 Des relations conflictuelles entre la France
et lONU (1947-1965).
Dès le départ, la France se situe à
mi-chemin entre laspiration sincère à
mettre en uvre le projet de lorganisation
mondiale naissante et une ferme volonté de servir
ses intérêts nationaux, via lorganisation.
La place de la France au sein de lONU ne va pas
de soi, en raison de la méfiance du président
Roosevelt envers le gouvernement provisoire du général
De Gaulle, quil ne reconnaît officiellement
que le 23 octobre 1944. De ce fait, la France ne signe
la Déclaration des Nations Unies du 1er janvier
1942 que le 1er janvier 1945. Elle nobtient donc
que tardivement lassurance de faire partie des membres
permanents du Conseil de sécurité, et ne
participe à la Conférence de San Francisco
quen tant que puissance invitée. De plus,
la France accueille la création de lONU avec
prudence. Si, en effet, celle-ci peut aider à rehausser
le prestige dun pays à la recherche dun
nouveau positionnement, le général De Gaulle
y voit aussi les germes dune structure qui pourrait
venir simmiscer dans les affaires intérieures
françaises. De 1945 à 1964, la position
française sur les activités de maintien
de la paix de lONU est en effet dominée par
les contraintes de la guerre froide et des conflits coloniaux.
La France est le seul membre permanent du Conseil de sécurité
déchiré de lintérieur par les
deux questions majeures de limmédiat après-guerre
: le conflit Est-Ouest (existence dun très
fort parti communiste) et la décolonisation. Sous
la IVe République, les relations entre la France
et lONU, dominées presque exclusivement par
la question coloniale, sont donc difficiles. La France
participe bien à la guerre de Corée sous
légide de lONU, mais ny joue
aucun rôle particulier. Sa contribution est exclusivement
militaire (elle y envoie un bataillon de volontaires),
la direction des opérations revenant quasi exclusivement
aux Etats-Unis.
Dès 1946, la France est montrée du doigt
à propos de loccupation du Liban. Mais cest
surtout à propos de « la question algérienne
» que la France et lONU saffrontent.
Alors que lAssemblée générale
reconnaît le « droit du peuple algérien
à lautodétermination », la France
dénie à lONU toute compétence
en ce domaine. Lopposition française à
lAssemblée générale atteint
son paroxysme en 1955 lorsque, après avoir menacé
de se retirer de lONU dans le cas où la question
algérienne serait inscrite à lordre
du jour de lAssemblée générale,
la délégation française, dirigée
par A.Pinay, quitte la salle.
Alors quau milieu des années cinquante
les relations entre la France et lONU sont particulièrement
tendues, la crise de Suez et le fiasco de lopération
franco-britannique qui sensuit vont aggraver la
situation. Du côté français, il sagit
autant de régler le problème du canal que
de sen prendre à un pays qui soutient largement
le Front de libération nationale (FLN) algérien.
A lONU, lURSS vote avec les Etats-Unis, afin
de contourner le double veto opposé par la France
et la Grande-Bretagne. Cest au cours de cette affaire
quà linitiative du secrétaire
général Dag Hammarskjöld est constituée
la première opération de maintien de la
paix, la Force durgence des Nations Unies dans le
Sinaï (FUNU). La première force de maintien
de la paix est donc créée contre la volonté
de la France.
Le retour du général De Gaulle le 1er
juin 1958, en pleine crise algérienne, ne laisse
en rien présager un quelconque apaisement des relations
franco-onusiennes. Cette crise prend dabord la tournure
dun affrontement personnel entre le Secrétaire
général de lONU et le général
De Gaulle, qui sen prend violemment à lONU,
dénigrée sous le nom de « machin ».
Mais, avec lindépendance de lAlgérie
en juillet 1962, les attaques de lAssemblée
générale cessent et ce qui fut la plus grande
source de confrontation entre la France et lONU
disparaît.
Cependant, lopération de maintien de la
paix que lONU montait au Congo-Kinshasa à
partir de 1960 constitue une nouvelle épreuve pour
les relations franco-onusiennes. Dans un premier temps,
la France ne se déclare pas opposée à
lenvoi dune force des Nations Unies (ONUC)
; mais, nourrissant malgré tout une certaine méfiance
vis-à-vis de lopération, la France
adopte une politique de réserve. En particulier,
elle soppose à toute ingérence dans
les affaires intérieures du Congo, et conteste
la légitimité du rôle joué
par le Secrétaire général dans la
direction des opérations. Mais cest surtout
à propos du financement de lopération
que de graves dissensions apparaissent entre la France
et lONU. En fait, la France conteste une résolution
de lAssemblée générale qui
exige des Etats quils assurent le financement de
lONUC ; et refuse donc de contribuer à ce
financement.
La seconde moitié des années 60 marque
la fin de la période de confrontation entre la
France et lONU. En effet, avec lindépendance
de lAlgérie, le règlement de la crise
financière des opérations de maintien de
la paix et le remplacement de Dag Hammarskjöld par
le Birman U Thant en 1961, lessentiel des griefs
entre la France et lONU disparaît.
Cette détente se poursuit avec Valéry Giscard
dEstaing, qui rompt délibérément
avec lapproche gaulliste de lONU : la participation
de la France, pour la première fois, à une
opération de maintien de la paix au Sud-Liban,
en mars 1978, confirme lengagement français
dans lONU et le ralliement de Paris à un
concept longtemps critiqué. Pour la France, cette
1ère participation à une force de maintien
de la paix est un succès diplomatique, même
si elle est loin dêtre un succès militaire,
en raison du mandat peu réaliste donnée
à la FINUL.
2 Une implication de plus en plus marquée
de la France depuis la fin de la guerre froide
Si le tournant décisif dans la politique française
à légard du maintien de la paix est
le déploiement dun contingent français
au Sud-Liban, la fin de la politique des blocs permet
à la France de se placer en première ligne
dans lONU. En effet, à partir de 1985 et,
surtout, de 1990, cette fermeté de lengagement
onusien de la France sexprime notamment par une
forte participation aux opérations de maintien
de la paix.
Le règlement du conflit cambodgien est ainsi loccasion
du premier engagement denvergure de la France au
service des Nations Unies depuis la FINUL. En effet, au
Cambodge, la France joue un rôle de tout premier
plan. Elle multiplie les missions de médiation
entre les différentes parties khmères, accueille
à Paris, pendant lautomne 1991, la Conférence
internationale sur le Cambodge. Elle prend part à
laccord général de paix en octobre
1991, qui prévoit, entre autres, la mise en place
de lAutorité provisoire des Nations Unies
au Cambodge (APRONUC) chargée notamment dorganiser
des élections libres. Très impliquée
dans le règlement politique du conflit au
point que son représentant au Conseil a pu dire
quil « est admis que la France est le chef
de file du Conseil sur la question du Cambodge »
- la France lest aussi sur le plan militaire : avec
une contribution de près de 1500 hommes, elle fournit
alors à lONU son plus gros contingent. De
cette opération, les français dressent un
bilan mitigé tant pour les résultats politiques
de lopération que pour le mode de fonctionnement
des Nations Unies. En fait, la France conteste labsence
dune réelle politique de coopération
entre les départements, qui nuit à lefficacité
de lensemble.
Pendant que se déroule lopération
au Cambodge, un demi-succès, lopération
en Somalie se dégrade et constitue un total échec.
Dabord sous commandement américain, avec
lopération militaire « Rendre lespoir
» (décembre 1992), puis sous commandement
onusien au sein de lONUSOM II (mai 1993), la France
fournit jusquà 2000 hommes.
Mais, cest en Yougoslavie que lengagement
français est le plus important, au sein de la Force
de protection des Nations Unies (FORPRONU).
Au Rwanda, ravagé depuis avril 1994 par le génocide
de la minorité tutsie par la majorité hutue
et par la reprise de la guerre civile, la France réussit
à convaincre lONU de lui donner laval
juridique lui permettant dintervenir militairement.
Par la résolution 929 du 22 juin 1994, le Conseil
de sécurité lautorise en effet à
conduire une opération humanitaire utilisant éventuellement
la force en attendant que la Mission des Nations Unies
pour lassistance au Rwanda (MINUAR) soit assez forte
pour relayer les Français. Malgré un certain
rôle pacificateur, lintervention française
est fortement critiquée : on a notamment relevé
lambiguïté de la politique française
et souligné lidée que lopération
Turquoise, mobilisant plus de 2000 militaires français,
est arrivée trop tard pour éviter le génocide.
Au delà des interventions militaires, la France
contribue, dans les années 80, à faire prendre
par les organes compétents des résolutions
qui traduisent une certaine évolution du droit
international dans le domaine humanitaire : cest
lidée dun « droit dingérence
humanitaire », terme qui ne figure dans aucun texte
officiel. En effet, en faisant adopter, le 8 décembre
1988, par lAssemblée générale
de lONU, la résolution 43/131 sur «
lassistance humanitaire en cas de catastrophes naturelles
et situations durgence du même ordre »,
la France lance le processus qui jette les bases de ce
concept de « droit dingérence ».
La France est également à linitiative
des résolutions 45/100 en 1990, qui met en place
les « corridors humanitaires », et 688 du
Conseil de sécurité condamnant la répression
irakienne contre des populations civiles, notamment kurdes.
Ainsi, alors quelle a défendu avec détermination,
dans les années 50 et 60, les principes de souveraineté
de lEtat, la France se fait aujourdhui le
chantre du droit dassistance humanitaire. Dans ce
sens, le président Mitterrand déclare le
30 mai 1989, devant la CSCE, que « lobligation
de non-ingérence sarrête à lendroit
précis où naît le risque de non-assistance
». La France, connue pour lactivisme de ses
ONG, soutient donc ces dernières dans leur action
sur les lieux des opérations de lONU ; allant
même dans certains cas jusquà financer
cette action, comme dans le cadre de lopération
de lOnu en Haïti pour Médecins du Monde,
financé par le ministère français
de la coopération. Ces principes humanitaires sont
également repris dans des résolutions concernant
la Somalie et lex-Yougoslavie. Cependant, même
si elle paraît plus ou moins acceptée, pour
certains, cette action humanitaire française ne
constitue quun alibi de linaction politique.
. 3. Stabilité de la position française
au-delà de son apparente évolution.
En dépit des apparences, la politique française
à légard de lONU a cependant
été stable et ce en raison de trois facteurs
:
- Attachement français à léquilibre
institutionnel de lONU
La France a toujours été très attachée
à léquilibre institutionnel de lONU
qui permet un équilibre entre Conseil de Sécurité
et Assemblée Générale du fait de
son siège permanent au sein du Conseil de Sécurité.
Selon la Charte de lONU, le maintien de la paix
repose exclusivement sur le Conseil de Sécurité
comme en témoigne larticle 42 qui stipule
que le Conseil peut entreprendre toute action quil
juge nécessaire au maintien ou au rétablissement
de la paix.
Or, du fait du contexte particulier de la Guerre Froide,
le Conseil de sécurité sest trouvé
confronté au problème du veto de ses membres
permanents et son action en matière de maintien
de la paix sest trouvée paralysée.
Pour pallier ce problème, la résolution
377 du 3 novembre 1950 de lAssemblée Générale
« Union pour le maintien de la paix » dite
résolution Dean Acheson a mis en avant le rôle
moteur de lAssemblée Générale
en cas de paralysie du Conseil de Sécurité.
La saisine de lAssemblée se fait soit par
lassemblée elle-même par un vote à
la majorité de ses membres , soit à la demande
du Conseil de Sécurité par un vote affirmatif
de neuf quelconques de ses membres. La résolution
opère un transfert à lAssemblée
dune responsabilité dans le maintien de la
paix. Cette résolution a permis à lAG
de décider de lenvoi dune force de
maintien de la paix à la suite de la crise de Suez
en créant la FUNU (force durgence des nations
unies) . Contraire aux intérêts français
et britanniques, cette force avait pour mission de vérifier
le retrait effectif des troupes et de pacifier la région.
Cependant, labandon progressif fait de lapplication
de cette résolution, en particulier avec la fin
de la Guerre froide, a coïncidé avec la volonté
française de renforcer le rôle joué
par le Conseil de Sécurité. Les opérations
de maintien de la paix sont ainsi désormais le
fait du Conseil.
- Evolution des opérations de maintien de la paix.
Les OMP ont connu une évolution, passant des OMP
au sens strict comme ce fut le cas pour les opérations
basées sur le chapitre VI de la Charte et qui respectaient
les trois principes à savoir le consentement, limpartialité
et linterdiction de faire usage de la force sauf
en cas dauto-défense.
Avec lapparition de lingérence humanitaire
dans les OMP, le recours au chapitre VII sest banalisé.
On a ainsi pu parler de seconde génération
dOMP du fait de lextension du rôle de
ces opérations qui devaient désormais consolider
la paix en favorisant la démocratie et la tenue
délections libres (ex : Cambodge), en désarmant
les factions rivales, en protégeant les droits
de lhomme, en acheminant de laide,
.
En outre, les caractéristiques de lOMP à
savoir le consentement nécessaire de lEtat
et le principe de non-utilisation de la force armée
sauf en cas de légitime défense, dues à
leur création par lAG, encore présentes
dans les opérations dites de deuxième génération,
ont été en partie remises en cause par les
opérations dites de troisième génération,
fondées sur le chapitre VII, dont le mandat est
coercitif. Les OMP peuvent désormais être
mises en place en dépit de la volonté de
lEtat sur le territoire duquel se déroule
lopération. Ce fut le cas notamment en Somalie,
au Rwanda, en ex-Yougoslavie.
La complexité des OMP aujourdhui est telle
que lAgenda pour la paix (1992) du Secrétaire
Générale, a du définir les différentes
fonctions des OMP. Il distingue ainsi le rétablissement
de la paix, le maintien de la paix, limposition
de la paix et la consolidation de la paix.
- ONU comme instrument de la puissance française
La participation française à des OMP de
lONU a toujours été dépendante
de lintérêt français.
Lengagement français répond à
une volonté de puissance de la France et lui permet
de saffirmer au niveau international et dêtre
présent un peu partout. En outre, lONU permet
à la France dexercer une influence largement
supérieure à sa puissance économique,
démographique au niveau international du fait de
sa participation aux OMP et de son siège au Conseil.
De plus, lintériorisation de la notion de
droit dingérence humanitaire répond
pleinement à la volonté française
dexporter ses valeurs issues de la Révolution.
Puissance moyenne, la France a besoin de lONU pour
pouvoir, faute dêtre une grande puissance
militaire, être la « première puissance
humanitaire » (Bérégovoy).
Il est à noter également que la participation
massive de la France à des OMP répond à
ses intérêts directs de présence dans
la région. Ainsi la France participe-t-elle à
des OMP qui ont lieu sur ses zones dinfluence traditionnelles
(Cambodge, Liban, Rwanda) Lintervention en ex-Yougoslavie
répond quant à elle à une volonté
de stabilité en Europe.
De plus, les OMP permettent de légitimer certaines
opérations françaises. On doit ainsi distinguer
deux sortes dOMP. Les OMP dirigées et lancées
par lONU comme la Yougoslavie, le Sierra Leone,
etc. Et les opérations, comme Turquoise au Rwanda,
qui sont surtout des opérations françaises,
habilitées et légitimées par lONU
(résolution 929) et par le concept de droit humanitaire.
La France a donc besoin de lONU pour développer
sa politique étrangère. Sa situation à
lONU pourrait être résumée ainsi
: « Premiers rôles et second rang »(M.C
Smouts).
II. Quelle est la portée réelle de laction
de la France au sein des opérations de maintien
de la paix.
1. Le poids de la France dans le maintien de la paix.
Lattachement français à la participation
aux OMP va se traduire par une part importante du budget
alloué aux OMP ainsi que par une contribution militaire.
Avec 1,2 Milliards de Francs en 2000 , la France est
le 4eme contributeur financier. En 2000, la quote-part
de la France a été fixée à
7,9%.
Chose rare, la France a toujours payé ses cotisations
à lONU dans les temps.
La contribution militaire de la France est très
importante. La France est le second contributeur militaire
(derrière le Pakistan) et fut même le premier
en 1993. Limportance de cette contribution financière
et budgétaire ne peut être possible que grâce
au soutien de lopinion publique aux OMP. Malgré
les récents déboires des OMP en ex-Yougoslavie,
au Rwanda, en Somalie, les Français sont attachés
aux OMP et sont prêts à en accepter les conséquences
et les pertes humaines (La France a ainsi par exemple
compté 53 morts en ex-Yougoslavie).
Enfin, il est à noter que la France a, au niveau
constitutionnel interne, une particularité : le
maintien de la paix est du ressort principalement du Président
de la République. Si le Premier Ministre peut jouer
un rôle dans le processus de décision dominé
par le Président, le Parlement, qui pourtant déclare
la guerre, nest pas vraiment associé aux
décisions et ne peut exercer quun contrôle
à posteriori. Discutable du point de vue démocratique,
cela permet cependant à la France de réagir
et denvoyer des troupes sur le terrain très
rapidement.
2. Limites de laction de la France qui reste une
puissance moyenne.
En dépit de la prépondérance française
sur la scène internationale, la France reste une
moyenne grande puissance et connaît des limites
de deux sortes :
- Les limites liées au poids de la France
- Les limites liées aux limites de laction
onusienne.
- Les limites liées au poids de la France
La France, en dépit de sa volonté de présence,
se trouve confrontée à des problèmes
matériels.
Laction de la France à lextérieur
se trouve limitée par une contrainte militaire
et financière. Lengagement sur des terrains
éloignés entraînent des coûts
importants pour la France, qui, en dépit du principe
de remboursement par lONU, subit lessentiel
de la charge. En effet, selon Monique Saliou, la France
nest remboursée par lONU quà
hauteur de 30% de ses coûts et encore de façon
tardive. Limportance des surcoûts
(envoi rapide de troupes et de matériel à
létranger, coût de la sécurité
des soldats, coût des soldats ( lONU donne
aux soldats un salaire identique pour tous les pays qui
est de lordre de 988 $ par mois et par homme , ce
qui, si cela bénéficie fortement aux PED,
nest en aucun cas suffisant pour les pays développés
; de même, lapprovisionnement des soldats
est jugé insuffisant. A titre dexemple, en
Bosnie, lONU fournissait 1 litre deau par
soldat par jour alors que la France estimait le besoin
à environ 6 litres.), coût du matériel
(remplacement plus rapide, usure, perte)
greffe les autres activités du budget de la défense.
Il est dailleurs à noter que si les OMP ne
sont pas inscrites dans le budget national voté,
du fait de leur imprévisibilité on
pourrait toutefois envisager dincorporer à
la loi de finances le coût de certaines OMP anciennes
(ex : FINUL)
Les coupes budgétaires du budget de la défense
à partir des années 1990 (4,01% du PIB était
alloué à la défense en 1983, 3,52%
en 1989, 3,26% en 1992 avec un objectif de 3% en 1997)
ont dans ce contexte mis en lumière limpossibilité
pour la France de moderniser son équipement afin
de répondre à ce nouveau type dintervention.
De plus, la multiplication rapide du nombre dOMP
sur toutes les aires géographiques du monde renforce
lincapacité française de faire face
à une dépense toujours plus lourde.
La crise yougoslave a mis en relief lincapacité
française, et plus généralement européenne,
à mettre en uvre de façon efficace
une OMP sur le sol européen même. En effet,
alors que les Etats-Unis nentendaient pas sengager
dans ce conflit quils considéraient être
du ressort européen, les Européens ont été
incapables de mettre fin au conflit. La crise yougoslave
na pu être réglée quavec
larrivée américaine. Il ressort de
cette crise que la France, en dépit du rôle
majeur quelle entendait jouer ( elle est à
lorigine de la résolution 743 du 21 février
1992 créant la force de protection des nations
unies en ex-Yougoslavie (FORPRONU) et de la mise en place
de zones de sécurité), a été
incapable de pacifier la zone et sest même
trouvée dans lincapacité de se retirer
du conflit. Cet épisode na fait que renforcer
le sentiment de dépendance à légard
des Etats-Unis sur le plan militaire et na fait
quaccroître le problème de la reconnaissance
de laction française par les USA.
La France en effet en dépit de son engagement
actif, ne se voit pas reconnaître la place quelle
devrait avoir au sein de lONU. Il est significatif
que la France possède des postes nombreux à
Genève mais en revanche elle na que très
peu de représentants au sein de lONU à
New York. La France ne dispose pas de rôle clef
dans les OMP et les postes de décision administrative
et financière, avec en particulier les deux départements
clefs que sont le département des affaires politiques
et celui des opérations de maintien de la paix,
sont dominés par les anglo-saxons.
- Les limites à laction de la France du
fait des carences onusiennes.
La France se trouve également confrontée
aux problèmes internes de lONU en matière
de maintien de la paix. Parce quelle est présente
dans les opérations, la France va se trouver associée
aux échecs des opérations de lONU.
Ainsi, les échecs dus aux carences de lONU
vont rejaillir sur la France. La Somalie est ici exemplaire.
Si la France sest relativement bien débrouillée
en Somalie dans la région de Baïdao, et si
léchec a été principalement
ressenti par les Américains (qui étaient
à lorigine de lUNITAF puis qui dirigeaient
la force de lONU UNISOM II), lintervention
en Somalie a cependant atteint limage française
qui se trouvait mêlée à cet échec
retentissant.
De même, tout comme en Somalie, lintervention
en ex-Yougoslavie a pâtit de limbrication
toujours plus nette entre militaire, civil et humanitaire
dans les OMP. Lefficacité des OMP de troisième
génération souffre du mélange des
genres. Les OMP sont devenues « la bonne à
tout faire de la sécurité internationale
» (Serge Sur) et cela nest pas sans poser
des difficultés quant à la clarté
des politiques et des objectifs à poursuivre. Cette
imbrication de lhumanitaire et du militaire, si
elle est soutenue par la France qui en est linstigatrice,
ne doit pas aboutir à des situations dans lesquelles
la sécurité des armées se trouve
menacée.
De cette situation, il convient de tirer les leçons
et la France se doit denvisager moins une remise
en cause des interventions humanitaires quune clarification
des OMP qui passe par une nécessaire réforme
de lONU.
3 La réforme de lONU comme nouvel
enjeu de la France en matière dopérations
de maintien de la paix
Sagissant de sa participation aux opérations
onusiennes de maintien de la paix, la France a tiré
les leçons dexpériences qui nont
pas été exemptes dambiguïtés,
notamment en raison du manque defficacité
et de crédibilité du Conseil de sécurité.
La France a ainsi exposé ses éléments
de doctrine en matière de maintien de la paix dans
le Livre blanc sur la défense, publié en
1994, et cette réflexion a été enrichie
par des travaux parlementaires, notamment le rapport Trucy
(1994) et le rapport Raimond (1995). Dans ce sens, le
Livre blanc sur la défense, sil confirme
lengagement onusien de la France et sa volonté
de mener une « politique volontariste » pour
« conforter le rôle de lONU »,
expose néanmoins les conditions de sa participation
aux opérations de maintien de la paix :
- tout dabord, lautorité politique
du Conseil de sécurité sur les missions
onusiennes doit être assurée et « larticulation
des responsabilités » entre commandement
politique et commandement opérationnel doit être
améliorée. Dans un premier temps, la France
doit donc souligner le rôle de lONU comme
organe de légitimation pour toute opération
de maintien de la paix. En effet, la France a intérêt
à favoriser le rôle de lONU par rapport
à dautres instances au sein desquelles elle
est moins présente. Mais, son siège de membre
permanent ne demeurera un vecteur dinfluence pour
la France que si la légitimité du Conseil
demeure entière. Cela impose de louvrir à
lAllemagne, au Japon et à certains grands
pays en développement, tout en préservant
lefficacité dune enceinte restreinte.
La France est donc favorable à un élargissement
du Conseil de sécurité, qui saccompagne
dun renforcement de sa primauté.
Cela nécessite une clarification des rapports
entre lONU et lOTAN. En France, subsiste une
vive méfiance vis-à-vis de la gestion des
crises par lOTAN elle-même ; car lOTAN
est toujours plus ou moins considérée comme
une organisation « dominée » alors
que lONU serait « non dominée ».
Malgré tout, lattitude française a
quelque peu évolué vers la nécessité
demployer une organisation dotée dune
structure militaire (OTAN) dans le cas des opérations
dimposition de la paix. En contrepartie, la France
exige que le Conseil de sécurité donne un
mandat précis à lOTAN et contrôle
en permanence lapplication de lopération.
De plus, la France préconise aussi un recours croissant
au chapitre VIII de la Charte des nations Unies relatif
aux accord régionaux permettant au Conseil de sécurité
de déléguer à certaines organisations
régionales (OTAN, OUA, UEO) la gestion dopérations
de maintien de la paix. La France a ainsi contribué
au renforcement des capacités africaines de maintien
de la paix dès 1998 (RECAMP). Tout cela vise à
renforcer la capacité daction des forces
de lONU sur le terrain. Dans ce sens, la constitution
dun réservoir de forces à la disposition
du Secrétaire général est pour la
France la 1ère priorité : il sagirait
en fait de forces de réaction rapide, nommées
« forces en attente » ou « stand-by
».
- en second lieu, « lexpertise militaire
mise à la disposition du Conseil de sécurité
» doit être renforcée.
- enfin, lengagement français est subordonné
à des critères politico-militaires précis.
Il sagit donc de clarifier le mandat de lONU
« pour en finir avec les zones grises » (Zorgbibe)
entre maintien de la paix et imposition de la paix, identifier
le type dintervention à mener, définir
un mandat militaire précis et clarifier le financement
des opérations de maintien de la paix, notamment
en regroupant toutes les opérations dans un budget
unique. Par ailleurs, selon le Livre blanc, le niveau
de lengagement français doit être en
adéquation avec les priorités stratégiques
de la France et avec les intérêts quelle
entend défendre à travers le monde.
Conclusion
En dépit de la multiplication des échecs
récents, du fait de leffet multiplicateur
de la puissance française à létranger
par lONU, il est peu probable que la France se retire
des OMP. Si le besoin dONU est clair, la France
entend tirer les leçons des revers passés
et va augmenter la conditionnalité de sa participation
aux OMP. La France souhaite, par la réforme de
lONU, minimiser les carences intrinsèques
aux nouvelles opérations de maintien de la paix.
Le deuxième enjeu de la France en matière
de maintien de la paix va être le rôle futur
joué par la PESC. Selon le chapitre VIII de la
Charte, à larticle 53, la PESC peut collaborer
avec lONU et participer aux OMP avec lautorisation
du conseil de sécurité. Le maintien de la
paix de lONU pourrait ainsi devenir un enjeu politique
européen pour la France.
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